Quelle liberté d'expression pour
Eric Zemmour ?




La chaîne d'information en continu iTélé décide de se séparer du polémiste Eric Zemmour fin décembre 2014, suite à ses propos sur les musulmans dans le journal italien Corriere della Serra. Dès lors, des politiques de gauche comme de droite ont dénoncé une atteinte à la liberté d'expression.
Censure, police de la pensée, uniformité intellectuelle... La décision d'arrêter l'émission « Ca se dispute », où Nicolas Domenach et Eric Zemmour officiaient en tant que polémistes, a fait réagir. De Marine Le Pen à Alain Finkielkraut en passant par Jean-François Kahn, de nombreuses personnalités ont estimé qu'il y avait atteinte à la liberté d'expression d'Eric Zemmour, qu'on le censure. Pour eux, une « police de la pensée » tente d'empêcher la diffusion des idées du polémiste.
Nombreux sont ceux qui voudraient réduire la place d'Eric Zemmour au sein du champ médiatique, estimant que sa parole n'a pas lieu d'être dans le débat public. « Zemmour stigmatise une partie de la population en permanence », assène Nordine Nabili, directeur du Bondy Blog, « un moment donné, faut que les gens qui lui donnent la parole se posent la question de sa légitimité ». Une partie de la population perçoit en effet son discours sur l'immigration et les musulmans comme une provocation, une incitation à la haine. « Sommes-nous dans le cadre de la liberté d'expression ou dans la promotion d'un certain nombre d'idées hors la loi ? » s'interroge Nordine Nabili. « Si ça ne tombe pas sous le coup de la loi, il a le droit de s'exprimer au nom de la liberté d'expression ».
Car cette dernière est un des droits fondamentaux les plus importants en France et en Europe. L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 énonce que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout concitoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Indispensable au bon fonctionnement d'une démocratie, elle garantit la pensée libre par la confrontation des opinions et des idées de chacun.
Les médias : espace privilégié de la liberté d'expression
Sans liberté d'expression, la liberté de presse ne peut exister. Les médias, pluralistes et indépendants, permettent en effet de s'exprimer librement. L'exclusion d'Eric Zemmour d'un de ceux-ci apparaît pour certains comme une atteinte grave à la liberté d'expression. Patrick Charaudeau, sociologue des médias, rappelle que ces derniers « doivent favoriser le pluralisme intellectuel dans une démocratie ».
D'autant plus que les idées du polémistes sont partagées par un bon nombre de citoyens français, en témoignent les ventes faramineuses de son dernier livre le Suicide Français (338 000 exemplaires).« C'est le rôle des médias de donner la parole à différents courants d'opinion qui pèsent dans la société et qui ne sont pas marginaux », ajoute Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion publique de l'IFOP.
Doit-on donc faire taire un homme qui représente les idées d'une partie de la population au sein des médias ? Eric Zemmour suscite indubitablement un intérêt. Les chiffres d'audience le prouvent. Philippe Bilger, président de l'Institut de la parole, juge « indispensable » sa présence dans les médias par sa « capacité d'agitation du monde intellectuel. Il nourrit et créé le débat ».
Laisser parler ou non, un choix éditorial
Céline Pigalle, directrice de la rédaction s'est justifiée au journal Le Monde : « Nous avons perçu du trouble et de la colère autour des propos d'Eric Zemmour ». Suite à ses propos controversés à la Corriere della Serra où il envisageait un possible déplacement des populations musulmanes dans un autre pays, la direction avait décidé de s'entretenir avec le polémiste. « Nous avons sollicité et filmé un entretien avec Eric Zemmour pour qu'il puisse exposer ses arguments. Mais les réponses qu'il a apporté n'ont pas dissipé le trouble ».
Dépassée par les propos d'Eric Zemmour, jugés inadéquats avec la ligne éditoriale, iTélé décide de le licencier sous la pression de la Société des journalistes (SDJ) de la chaîne. Dans un communiqué, le syndicat avait déclaré « inacceptable le ton menaçant et inquisiteur de ces propos sans précédent ».
Cela n'empêche pas le polémiste de s'exprimer. Eric Zemmour dispose toujours d'une très grande notoriété publique, et sa présence dans les médias ne se limitait certainement pas qu'à son émission « Ca se dispute ». Il est autosuffisant sur le plan médiatique. RTL, RMC, Le Figaro, Paris Première... D'autres chaînes et journaux donnent encore du crédit à sa parole et soutiennent qu'il est nécessaire de l'entendre.
Une seule limite à sa liberté d'expression : la loi
En réalité, la liberté d'expression d'Eric Zemmour n'est pas totale, comme le précise la Convention européenne des droits de l'homme. Elle trouve ses limites dans la loi. Olivier Cahn explique que « la liberté d'expression trouve sa limite dans l'interdiction de commettre des infractions. Ces infractions sont principalement la diffamation et l'injure ainsi que les propos appelant à la haine (apologie de crimes contre l'humanité, propos antisémites, racistes et homophobes) ».
Celui-ci a d'ailleurs déjà fait les frais. Deux fois, le polémiste a été condamné pour « provocation à la discrimination raciale ». Le 6 mars 2010, il annonce sur le plateau de « Salut les Terriens » sur Canal+ que « la plupart des traficants sont noirs et arabes, c'est comme ça, c'est un fait ». Le même jour sur un autre plateau, il avance que la discrimination à l'embauche peut être justifiée : « Ils ont le droit ».
Sa place dans les médias est aussi polémique que sa liberté d'expression est surveillée. « Il est évident que plus la personne est considérée comme ayant une influence sur l'opinion publique, plus on exigera d'elle qu'elle mesure ses propos et qu'elle exprime ses idées de telle manière à ne pas provoquer des infracations », précise Olivier Cahn. Mais la rhétorique de Zemmour est bien rôdée, « la liberté d'expression d'un polémiste est infiniment plus grande. C'est un provocateur sensé susciter le débat et y contribuer ». D'où la difficulté de trouver les limites de sa liberté d'expression, même vis-à-vis du droit.